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Recueil n° 3 – 2014 23
L’intérieur du triptyque est parsemé d’images-référents faisant partie du patrimoine mondial de l’Art, telles que le
DAVID
de
DONATELLO
, l’
HERMÈS
de
PRAXITÈLE
,
LA
BATAILLE
de
PAOLO UCCELLO
, le portrait
d’
ELIZABETH TAYLOR
d’
ANDY
WARHOL
ou l’
URINOIR
de
MARCEL DUCHAMP
. Des phrases issues de
propos d’artistes majeurs sont reprises çà et là à l’intérieur du triptyque :
il y a plus d’esthétique dans un
sous-
marin nucléaire que dans tout l’art contemporain
(
JOSEPH BEUYS
).
Comme nous l’avons spécifié plus haut, le pilier qui soutient l’édifice créatif de GERT SALMHOFER, c’est la force
du
symbole
: la symbolique est une signature récurrente dans l’œuvre de cet artiste. Elle est à la fois discrète et
présente. Néanmoins, transcendant un langage déjà évocateur, à l’exemple de la structure en plein effondrement
d’
EUROPICTUM
, cette symbolique trouve sa destination percutante dans la présence de ce drapeau de l’Union
européenne flottant en haut à droite de la composition : le symbole est l’image d’une U.E. en pleine
déliquescence. Il en va de même pour
URBANO
où la référence : «
une réalisation SALM et HOFER – SARL
promoteurs
» associe, par le biais de l’humour, le sacré de la basilique primitive de Sainte-Sophie convertie en
musée avec le gratte-ciel moderne, aliénant et concentrationnaire, défigurant le paysage humain. Le symbole
parcourant l’ensemble de sa peinture est
politique
au sens étymologique du terme : dans le premier cas, il
dénonce l’instabilité de l’U.E. Dans le second cas, il prend en compte la
polis
(la cité dans son acception
humaine, intellectuelle et dynamique. Bien que l’artiste n’ait jamais étudié l’architecture, il ne cesse de s’y
intéresser car ce qui est urbanistique témoigne de l’activité humaine. Sa démarche, comme nous l’avons
souligné, se distingue par le désir de créer de la confusion en brouillant les pistes cognitives tout en aboutissant
vers une lecture simple. Une foule de signes constellent son œuvre. Ces signes, posés pêle-mêle dans l’espace
pictural, sont les composantes d’une sémantique appartenant à l’Histoire, dans une perspective laquelle ne
devient évolutive que dans la culture personnelle du visiteur. Aucune chronologie ne régit ses tableaux. Ici
encore, le symbole se manifeste dans la représentation : la spirale constituant l’œuvre éponyme, formée d’une
myriade de signes est une image de l’infini dans de nombreuses mythologies. Il y a, par conséquent, une
adéquation entre le bouillonnement créatif de l’écrit à l’intérieur de la forme et la spirale aboutissant sur
l’infiniment possible. Il en va de même avec
STÈLE
où le réceptacle du signe (la pierre – l’archaïque) débouche
sur la souris de l’ordinateur censée contenir le support technologique moderne ordonnant le savoir.
Comme à son habitude, l’humour n’est jamais loin : une image de
DOMINIQUE STRAUSS-KAHN
sert de clin
d’œil au regardant. Cet engouement à brouiller les pistes est un incitatif à l’endroit du visiteur à rechercher la
vérité du discours par lui-même. On retrouve cette volonté de l’égarer volontairement même dans la façon qu’a
l’artiste de
cacher
sa propre signature apposée sur le tableau, en la « symbolisant » par le monogramme «
S
»
atrocement déformé, placé généralement du côté gauche de la composition, auquel répond sur la droite, la date
d’achèvement.
La consistance des tableaux exposés qui fait que l’œil du visiteur est trompé par ce qu’il voit, en ce sens qu’il
n’arrive pas toujours à déterminer la matière avec laquelle l’œuvre a été réalisée, est en fait une pâte que l’artiste
fabrique lui-même. Lorsque celle-ci est sèche, il taille dedans et la ponce ensuite. De sorte qu’il n’est pas toujours
aisé de reconnaître l’élément peint du sculpté, comme pour
EUROPICTUM
où l’architecture enchevêtrée est en
réalité un collage extrêmement subtil, associant peinture, bois et pâte (la colonne de droite, contrairement à ce
que l’on pourrait imaginer, n’est pas de la peinture à l’huile mais bien de la pâte travaillée). D’où une forme de
cinétisme qui n’a rien à voir avec la perspective proprement dite.
Sa peinture est également une œuvre philosophique, en ce sens qu’elle propose tel thème, préalablement
exploré, pour le reproposer sous un éclairage nouveau, d’où l’intitulé de son exposition :
PALIMPSESTE
, à
savoir, un manuscrit sur parchemin dont on a préalablement gratté le contenu existant pour en rédiger un autre.
Cette technique était usitée par les moines du 7
ème
au 12
ème
siècle. L’inconvénient majeur à cette façon de
procéder est que tout ce qui fut écrit auparavant s’avéra définitivement perdu.
Du grec ancien, « palipsêstos » signifie « gratter à nouveau ». Or, le
grattage
fait précisément partie de la
technique d’approche du matériau par l’artiste, lorsque la pâte qu’il a conçue est à demi-sèche et prête à être
poncée.
Le parcours de GERT SALMHOFER est typique de l’artiste ayant fréquenté les Beaux-Arts mais qui pour trouver
sa propre voie a dû s’en distancier. Excellent orfèvre au demeurant, il habite Bordeaux. Lorsqu’on lui demande de
nous parler de ses projets immédiats, il nous répond tout de go : « retourner à Bordeaux ! » Humour quand tu
nous tiens…
PALIMPSESTE
participe d’une volonté de connaissance dans laquelle le
signe
, produit culturel, renouvelé par
l’œuvre dans son intemporalité, devient, par le biais d’une fine
poésie
, le véhicule d’une
conscience
qui nous
implique, au détour de chaque regard que nous portons sur l’œuvre profonde et prolifique de GERT
SALMHOFER.